Le CITRON

Thierry E Garnier

prix // 5 €


" Le CITRON - Citrus limonum - Un conte moderne à l’usage des honnêtes gens mais aussi des elfes, des fées, des astronomes et autres hères en mal de pitance, en guise de vaccin H1N1, à l’encontre des pandémies et autres catastrophes naturelles. "


20 pages


ISBN 2755100478


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Article



(extrait)


« - Mais où est donc passé le citron ? » Oui, c’est une drôle de question… « - J’aurais tendance à dire qu’il est parti en ballon vers la ville de Florence, comme l’œil du Tigre à Bombay ou l’œuf de Jade à Pékin. » Mais qu’était « le citron » à vrai dire ? Un morcellement du peintre lui-même ou la représentation synthétique d’une part de divin sacré que tout être possède en chacun de lui, enfoui immobile et autiste, tel un résidu de soie, incandescent de braises du foyer, d’avant la guerre du feu, quand tombe la foudre sur un arbre mort. Une part de reliance certaine avec l’éternelle et apparente immobilité des anges de Lumière était évidemment à entrevoir, mais se pouvait-il qu’il en parlât ainsi, sans aucune protection. Un fil ténu, ombilic des limbes, unissait inconsidérément, par la force de l’amour, les silhouettes noires des hommes au grimoire secret de la vie et de la mort, là-bas, derrière les portes de la paix intérieure. Aussi, une figuration de l’axe du monde avant tout. C’est en se demandant « où était donc passé le citron ? » que l’homme du torrent réagit à la douleur : « - C’était quoi le citron ? » L’âme du monde concentrée en une image seule, énigmatique et souterraine de la psyché des hommes. Supposition ou affirmation. Comme un talisman de craie venu du fonds des âges, brossé à la main sur la paroi d’une galerie, le citron, indéchiffrable et jaune, se dérobait toujours à l’attention du nous. Le tableau d’Orsay venait de Manet, de l’esprit de Manet, de la main de Manet, du pinceau de Manet. Son avatar borgne se trouvait aujourd’hui à Genève, accroché aux cimaises bleutées d’un appartement bourgeois que l’on imaginait cossu et chantourné d’objets divers et improbables, un loft tendu d’emblèmes idolâtres, de veaux d’or, acquis à la gloire du Cac 40. Un appartement entretenu de mains soignées par un couple de collectionneurs suisses et néanmoins esthètes, épris de peinture contemporaine comme un maraudeur s’entiche, les soirs de pleine lune, d’une demi mondaine aux yeux d’émeraude. Les propriétaires du tableau ne s’étaient, eux, jamais posé à vrai dire la question : « - Mais où est donc passé le citron ? » Ils savaient. Mais, savaient-ils seulement ce qu’était le citron ? Sans doute - Intuitivement. Pour mieux comprendre l’œuvre enfouie, vendue il y a deux décennies maintenant, « l’artiste », son géniteur probable en réalité, ausculta de nouveau le tableau, ou plutôt sa reproduction. Tel un expert absolument détaché de toute contingence esthétique, ne s’intéressant comme il se doit uniquement à sa valeur marchande, il conclut après force méditation qu’il n’en savait rien et déclara par courrier à la femme curieuse, son impuissance. Il ne savait pas où était passé le citron. Mais son œil averti se souvenait maintenant que, cependant, en haut, à gauche de l’œuvre, une inscription au cinabre, rouge, en palimpseste, comme d’ailleurs toutes les écritures enchevêtrées et quasi invisibles du tableau, indiquait peut-être une piste à suivre. Une pièce maîtresse, assurément, de ce puzzle artistique, métaphysique aussi, qui concernait dès lors - et depuis à vrai dire la création de son œuvre - le propre de sa biographie. Les tirets étaient mal placés et il manquait le point final de la phrase. Le pas soutenu de sa chair au sein du monde des vivants et les reliefs ajourés d’une histoire enamourée prenaient maintenant ses racines sourdes dans l’altérité ambiguë d’une correspondance dont il ne comprit pas tout de suite la portée symbolique. Évidemment, la rêverie était précieuse, mais pour autant la confidence ne pouvait interférer sciemment dans une réalité programmée que le voile du mystère ne devait soulever sous aucun prétexte. Savoir où était passé le citron, c’était aussi savoir (…). »


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